Epique, épique, et ...
Ce matin, telle une héroïne mythique, je me levai, mes yeux bouffis de sommeil encore emplis de mes exploits aussi nocturnes que fictifs. J'accomplis mes tâches diverses, avant d'affronter avec courage les frimas du mois de janvier, ne jetant qu'un oeil blasé au thermomètre qui affichait avec orgueil ses -4 degrés. Les vrais héros n'ont jamais froid, pas même à sept heures du matin.
N'écoutant que ma force de caractère et mon courage naturels, je grattai, avec une force surhumaine, les éclats de givre qui ne rendirent les armes qu'après de nombreuses minutes de combat intense. Je m'attelai à ma tâche, déclamant les célèbres vers qu'Homère prêta à son Ulysse lorsque celui-ci se rendit compte que les quarante prochaines années s'annonçaient un tantinet difficiles: "Put*in de b*rdel de c*nnerie de mois de janvier de m*rde!" (traduction du grec).
Zigzagant avec aisance entre les plaques de verglas, patientant avec ténacité derrière les tracteurs annonciateurs de ma laborieuse campagne, je roulai le long de la voie qui me menait vers mon devoir, sachant que seule la satisfaction de la tâche accomplie pouvait me combler. Je sentis monter en moi la fièvre du service de la Nation, l'envie profonde d'éduquer la jeunesse qui fera la gloire de notre prestigieux pays... En me garant sur le parking couvert de glace, tel Hercule manoeuvrant son char sur la voie glissante de la gloire, je me sentis pénétrée d'une irrépressible envie de transmettre mon Savoir, ignorant courageusement mes deux neurones qui criaient leur envie de regagner le dessous de la couette.
A peine les portes de ce lieu mythique franchies, je m'exclamai, reprenant l'immortelle phrase du roi Egée se jetant dans les flots noirs de la mer éponyme "B*rdel, mais ça caille ici!!!" (traduit du grec). Renseignements pris, je m'avisai que notre aimable gestionnaire avait "oublié de remettre le chauffage hier soir" (je cite) et que la température moyenne des salles était de "16 degrés" (idem). Qu'à cela ne tienne, si certains héros affrontèrent en leur temps Méduse, l'hydre de Lerne, voire Zeus en personne, j'étais fort capable d'assurer mes cours en claquant des dents et en me collant au radiateur, face à des élèves avides de se pénétrer de mon savoir, enfouis dans leurs doudounes et prenant des notes avec leurs moufles. Le froid vivifie les héros, c'est bien connu!
Mais le héros, personne ne l'ignore, n'achève jamais sa divine tâche. Il me fallut me plier au sacro-saint rituel pythique d'embrasser une soixantaine de joues glacées avec mes lèvres gercées et bleuies en répétant la phrase millénaire qui a perdu en sincérité ce qu'elle a gagné en popularité "Bonanébonnesantémeilleursvoeux" (à traduire dans toutes les langues du monde). Le héros accomplit sa tâche, bien qu'espérant en son fort intérieur pouvoir échapper à la corvée de bise à des personnes avec qui on travaille et qu'on n'embrasse jamais...
Cependant, chers lecteurs, l'héroïne que je suis a failli.
Le héros renâcle quelquefois devant l'ampleur de sa tâche, renonce, abandonne, laissant l'humanité la plus grossière prendre le pas sur l'immensité de son courage. Le héros, parfois, se montre bassement humain. Il se contente de fuir devant la pire des tâches, en laissant là épée et bouclier, casque emplumé et glaive luisant, redevenant alors une simple prof dégoûtée par sa matinée pourrie et écoeurée par le taux de bises fournies en une seule petite journée.
Je n'ai pas fait la bise à Monsieur Mouchamerde.