Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
La face cachée des profs!
25 septembre 2009

A la croisée des mondes*

Ce soir, au supermarché, j'ai laissé mon esprit vagabonder. Eh oui, ça vous étonnera peut-être, mais faire les courses est une activité tellement fascinante qu'en général je passe ce temps à penser à autre chose. Mon mari vous dira que c'est pour ça que j'oublie toujours la moitié mais là n'est pas la question.

Mon esprit vagabondait, donc, et s'est mis tout seul à évoquer les bons souvenirs de la semaine de classe... de fil en aiguille m'est venue une idée farfelue. Imaginons une rencontre... une rencontre entre l'un de mes élèves de Bahutpépère et l'un de mes "anciens" de Citéquiflambe. Je me voyais déjà bloguer un dialogue loufoque tiré tout doit de mon imagination, qui remporterait les suffrages enthousiastes de la foule toujours croissante de mes lecteurs adorés.

Prenons l'un de mes exemplaires préférés de Bahutpépère. J'adore ce gamin, peut-être pour la seule raison que j'ignorais que de tels spécimens existaient encore. Appelons-le Achille. Achille est un blond aux yeux bleus, cheveux un peu trop longs coiffés artistiquement en mini-vague légèrement ondulée sur le côté. Il adore porter des chemises noires qui mettent son teint en valeur. Chemises, jeans repassés, vraies chaussures. Il est apprécié de tous, drôle, souriant, intéressé, bon élève sans être l'intello de service, camarade dévoué... Mère pharmacienne, père chanteur lyrique à ses heures.  Achille me fait bien rire, notamment cette semaine où j'ai failli faire pipi dans ma culotte, parce que, trop pressé de répondre à l'une de mes questions, il a levé le doigt si vite qu'il s'est violemment cogné le coude à sa table. Ce qui a provoqué mon hilarité, c'était de le voir se frotter le coude, outré, non pas d'avoir mal, mais  de n'avoir pas été interrogé. C'était tellement surréaliste que j'ai failli m'effondrer. D'où son surnom d'Achille, pas Talon mais Coude (oui je sais c'est vendredi soir, lecteur, attends-toi  à des vannes nulles).

Mettons face à face avec Achille Coude un autre de mes élèves de Citéquiflambe. Prenons Momo, jogging blanc des grands jours descendu sous le caleçon, chaussettes Adidas immaculées savamment tirées par-dessus le tout, casquette Lacoste en équilibre sur le crâne rasé agrémenté de rayures décolorées. Père en Algérie, mère chômeuse de 25 ans élevant seule ses 6 enfants dans un deux-pièces.  Momo a un coeur gros comme ça mais le cache bien parce que dans la cité, m'dam, faut carrément être un dur et mitonner sinon bah on s'fait maraver la gueule, tu vois, m'dam, et pas la peine de bosser pour être au smic si on peut se faire de la thune avec  des lecteurs dvd volés. Je l'aime bien Momo, il me fait rire, parfois un peu jaune, j'ai de la tendresse pour ce coeur un peu cassé qui veille sur sa petite soeur comme sur un trésor mais qui ne sait pas trop comment faire dans la vie.

J'ai essayé de l'imaginer, ce dialogue. J'ai essayé le genre drôle, mais j'ai trop de tendresse pour eux pour les ridiculiser. J'ai essayé le genre émouvant, mais je n'ai rien trouvé d'un peu objectif.

La vérité? C'est que ces deux mondes sont si imperméables, ont des images tellement faussées l'un de l'autre, qu'il est impossible de les faire communiquer. Même dans mon imagination. Quand mes élèves de cette année ont entendu que je venais de Citéquiflambe, un frisson d'horreur les a parcourus. Ils me demandent de temps en temps, "Madame, dans votre ancien collège, les élèves savaient lire et écrire?". Sans blague.  Mes élèves de Citéquiflambe ont un mépris sans bornes pour ces sales bourges ringards de la campagne. Quand ils savent qu'ils existent.

Alors un Achille blondinet à Citéquiflambe aurait un temps de survie très limité. Un Momo à Bahutpépère serait tellement perdu, tellement atterré, qu'il sombrerait vite dans la déprime.  Pas moyen d'imaginer un dialogue.

Et bien sûr, en pensant à tout ça, j'ai encore oublié d'acheter du pain.

* A la croisée des mondes, titre emprunté à l'excellente trilogie de Philip Pullmann.  

** Une interview de moi est publiée ici merci à Vanillette de s'être intéressée mon travail!

Publicité
Commentaires
M
Prof vacataire précaire, j'ai des élèves enfants et ados de citéquiflamble et des élèves enfants et ados bourgeois citadins et campagnards dans des lieux d'enseignement différents.<br /> <br /> D'un côté la petite fille de sept ans Chloé qui dédaigne la bouche pincée, de laver ses pinceaux et ranger ses affaires "parce que c'est le travail de la femme de ménage", parle de ses vacances au Mont Dore, de ses progrès en équitation ou dans les jeux vidéos, raconte ses premiers amours, parle avec plus d'affection de sa nounou qui fait les crêpes que de ses parents.<br /> Voit son avenir professionnel et social sans peur.<br /> Mais a du mal à imaginer une vie de famille.<br /> <br /> Et de l'autre une autre petite fille du même âge, Aïcha, qui a du mal à conjuguer ses verbes et à comprendre ce qu'elle lit (méthode globale à l'école où elle va)et du mal à se concentrer sur ses études parce que classe surchargée (35 enfants) et des remplacements d'instits quasiment toutes les trois semaines, pas un lieu à elle pour faire ses devoirs au calme, même si énorme envie d'apprendre, Aïcha qui a une obésité précoce, des problèmes familiaux énormes (père en prison, mère divorcée et mise au ban de la communauté et de la famille), signe pour sa maman des papiers de la CAF et remplit les feuilles d'impôts, s'occupe de ses petits frères et assure le ménage et la cuisine le soir, a du mal à faire ses devoirs, ne sait pas où est son père et qui il est, n'a quasiment aucune activité extrascolaire (la piscine une fois par mois avec une association et l'atelier artistique avec moi au centre social une fois par semaine) et pense que le seul avenir possible pour elle se résume au mariage et à la maternité. Les études, c'est trop compliqué et puis c'est mal vu pour une femme dans son quartier.<br /> <br /> Ce qui rapproche ces deux petites? Une commune solitude.<br /> L'une parce parents cadres supérieurs dans une grosse société industrielle, ne voyant leurs enfants que le dimanche (Chloé et son frère sont confiés aux soins de personnels de maison et d'une nounou).<br /> L'autre, Aïcha, parce que maman faisant des ménages pour faire survivre seule la famille (4 enfants), peu de temps à elle pour jouer, beaucoup de responsabilités écrasantes et de soucis.<br /> <br /> Après, leurs univers diffèrent tellement...<br /> Chloé dispose d'un luxe matériel qui ferait rêver Aïcha. Une chambre à elle, des activités extrascolaires nombreuses, beaucoup de jouets et de vêtements à la mode, aucun devoir ménager à faire, du temps pour rêver, du calme pour ses devoirs.<br /> <br /> Mais Aïcha dispose de plus de contacts familiaux et affectueux même si sa maman travaille. Ce que pourrait lui envier Chloé, beaucoup plus solitaire même si privilégiée matériellement.<br /> <br /> Les deux univers s'ignorent parce qu'ils ne se côtoient jamais. L'une est dans une école primaire privée d'un petit village tranquille en périphérie de grande ville. L'autre en ZEP publique dans la citéquiflambe.<br /> Chloé ne va en ville que rarement, seulement pour quelques courses ou pour voir des relations bourgeoises de ses parents, quelques camarades, tous de milieu aisé.<br /> <br /> Aïcha ne sort quasiment pas de son quartier populaire en ville. Rarement dehors parce que dehors, il y a des bandes d'ados garçons qui sont plutôt violents avec les fillettes et jeunes filles. Et puis il y a à s'occuper des petits frères, de la cuisine, du ménage, des devoirs...<br /> <br /> J'aimerais parfois les faire se rencontrer mais chacune a déjà des préjugés tout faits.<br /> Aïcha me dit: les autres petites filles que je vois de loin dans certains magasins sont des bourges, des qui font les belles, les poseuses, qui pensent qu'on est bêtes et qu'on est toutes voilées parce que musulmanes.<br /> <br /> Chloé, elle, ignore totalement ce qu'est la vie d'une petite fille en cité populaire. Elle ne fait que répéter les préjugés établis par ses parents, son milieu sans avoir aucune idée de la réalité.<br /> Ce qu'elle a comme confort, elle est persuadée que tous les enfants l'ont. Hormis les gitans (seuls exclus sociaux qu'elle peut croiser de temps à autre dans son village). Elle n'a pas de curiosité vis à vis de situations sociales plus difficiles. C'est quelque chose qui ne l'intéresse pas, voire qui n'existe pas.
B
Que j'aurais aimé le lire ce dialogue !
S
Vu l'expérience que j'ai eue, en effet au Lycée la différence s'atténue, voire, n'existe plus ... ce qui est encourageant pour l'avenir .<br /> Dans le monde du travail, et même ailleurs, la cohabitation est inévitable, autant faire en sorte que ça se passe bien.
S
Bonne surprise d'apprendre que vous venez d'Alsace ! Je serais curieux de savoir où ce trouve votre fameuse "citéquiflambe" héhé (Mulhouse peut-être ?)<br /> <br /> Une fois de plus, la réalité est belle est bien là. Deux mondes différents. Par contre je ne pense pas que ça s'applique au lycée !<br /> Salutations
S
J’ai fait parti de ces « différents » qui arrivent dans un collège où tous les noms commencent par « De » et dont le métier des parents était des initiales ! Cela m’a amusé et surtout aiguisé mon sens des valeurs et de l’amitié... J’ai beaucoup appris ! Mais cela m’a aussi rendue grinçante. Ces jeunes blondinets aux yeux bleus ne sont pas toujours les petits anges que l’on imagine... Attendons de les voir grandir !
Publicité
Publicité