De l'art de remplacer...
Comme vous le savez sans doute, chers lecteurs, une loi d'il y a environ 3 ans nous demande aimablement de remplacer les collègues absents. Cette loi a provoqué un certain nombre de tollés pour des raisons sur lesquelles je ne reviendrai pas, mais finalement, tout cela est mis en place et ne tourne ma foi pas si mal que cela.
La question est toute simple lorsque l'on remplace dans sa propre classe, pas de souci, une heure de français en plus ne peut pas faire de mal à ces chérubins qui en ont bien besoin. Elle devient beaucoup plus épineuse lorsque l'on remplace dans une autre classe que la sienne. Ce qui normalement ne se fait pas. Mais bon, comme chacun sait, nul n'est à l'abri du Démon de la Réforme, qui a parfois de drôles de répercussions. Ainsi, ce brave démon a décidé cette année d'accorder environ 120 heures de formation à tous les néotitulaires, qui, soit dit en passant, sont enchantés d'être une fois de plus infantilisés par le système en perdant leur temps. Quelles répercussions sur le professeur expérimenté (presque 5 ans d'ancienneté, quand même *applaudissements*) que je suis?
Hé bien, cette année la moitié des effectifs de lettres est néotitulaire. Quand je vous disais que je suis une vieille peau. L'autre moitié des effectifs doit donc remplacer la moitié absente, pour éviter notamment aux troisièmes de perdre une quantité précieuse autant que non négligeable de cours de français.
Le problème, c'est que quand on n'est pas leur prof, on n'est vraiment pas leur prof. C'est curieux tout de même, ces charmants jeunes gens qui se plaignent à longueur d'année de leur prof lui sont quand même attachés par l'amour, le sang et les tripes. Donc, lorsqu'un professeur inconnu (oui, oui, même si je connais la moitié de la classe...) prétend remplacer leur guide spirituel perdu, hé bien, la révolte gronde...
C'est ce qui m'est arrivé ce matin: imaginez ma voix de canard enrhumé, mon oeil vitreux, mon nez coulant, face à la pire troisième du collège... Je leur ai d'entrée de jeu présenté le contrat traditionnel: on bosse tranquillement, ou ils trinquent. Au bout de 5 minutes seulement, bilan: un jeune homme à la porte (il semblerait qu'en lui demandant de se taire je lui aie "parlé comme à un chien"_ sauf que les chiens ne se mettent pas à chanter en plein cours), contrôle pour toute la classe puisque quelques petits malins ont décrété qu'ils ne comptaient pas respecter mon contrat puisque je ne leur ai pas présenté de document signé.
Phase de test réussie. Au détriment de toute pédagogie sensée, un inspecteur aurait fait une crise d'apoplexie devant mes méthodes dictatoriales. Mais bon, pas de voix, pas d'énergie... pas de pédagogie. Faut pas me chercher.
Le souci aussi c'est que bien sûr on ignore totalement comment sont placés les élèves d'habitude... les pipelettes séparées, les cas isolés... aucune idée. Le but du jeu, c'est un peu les chaises musicales, identifier avant d'avoir des preuves, quitte à passer pour un monstre et séparer (oh crise!!) les meilleurs amis du monde pour une heure toute entière.
C'est un peu ce qui c'est passé dans la cinquième dans laquelle j'ai ensuite officié: tu te déplaces...ah non ben tu te redéplaces... tu dois être au premier rang parce que tu n'entends pas bien? Mais apparemment tu sais parler... surtout au premier ranf...
C'est tout aussi rigolo de voir évoluer les sixième de l'année dernière, ou les anciens quatrièmes, de voir qui a pris 10 cm en un été (impressionnant), ah, Mourad, ta voix a enfin mué, il était temps!! La timidounette effacée de l'an dernier a manifestement attrapé le virus de la pouffitude/parlottitude, tout comme le lent est resté...lent.
Tout ça pour dire, remplacer c'est tout un art, ça devrait être une formation à part entière...