D'un art qui se perd...
Perte malheureuse ou non? Je je pencherai volontiers pour la première option, même si on me traitera à coup sûr de vieille (!) facho. Oui, la perte évidente et sans doute irréversible de la politesse la plus élémentaire, chez nos élèves mais malheureusement chez nos collègues aussi me choque un peu. Bonjour, au revoir, merci... des petits mots qui permettent de penser que l'on est à un stade supérieur à la poule ou au cochon d'inde, ou au chat de ma mère qui vise le bout de jambon de ma fille (ou l'inverse, d'ailleurs). A placer sur la liste des termes en voie de disparition, tout comme ces jolis mots un peu désuets: bicylette, autobus, respect.
Des petits mots qui rendent aussi la vie un peu plus douce... n'est-ce pas agréable de s'entendre souhaiter un bon-jour par des collègues ensommeillés, ou par des élèves qui finalement ne semblent pas si mauvais? Pourtant, société de consommation oblige, ils se font plus rares. Ainsi, à l'entrée de la salle des professeurs, à toutes les pauses des élèves se pressent furieusement pour des raisons diverses qui ne peuvent en général attendre la fin de mon thé. Le problème ne serait pas là si les petits mots magiques, éventuellement un sourire poli étaient au rendez-vous. Les dialogues sont souvent les suivants:
"-BOUM BOUM BOUM! (pour protéger la porte, seul rempart entre eux et nous, d'un fracas inévitable, je me lève)
-Ouiiiiiiii?
-(Ton rogue) Pouvez met'ça dans l'casier à Mme Trouillefou?
- Bonjoursilvousplaitmerciaurevoir" (Ton un rien excédé, et impatiente de voir le résultat)
Alors là, plusieurs possibilités de réponse: soit le jeune a un vague souvenir de ce genre de mots et répète sa phrase, non sans soupirer, avec les termes adéquats. Soit il est complètement affolé, non mais qu'est-ce qu'elle me veut celle-là, c'est quoi cette boutique, le client est roi, et il se taille sans demander son reste. Soit (le papier est vraiment important) il reste planté là, bien embêté, à tenter de savoir ce que j'attends de lui. Dans ces cas, soit je suis de mauvaise humeur (c'est le troisième en 5 minutes) et je lui réponds de revenir plus tard en parlant correctement, soit je lui dis moi-même la phrase espérée, et la lui fais répéter.
Le vrai souci vient-il vraiment de ces ados? La question mérite d'être posée, surtout quand on voit les réunions parents profs... allez expliquer à ce père, casquette vissée sur la tête, chewing gum en bouche, que son fils ne connaît pas les règles élémentaires de politesse? Je suis bien tentée, ma foi, de demander au père d'enlever ses attributs afin de donner l'exemple, mais l'homme en question ayant environ le double de mon âge, j'avoue, je n'ose pas. Il faudrait, pourtant. Imaginons une école des parents, dans laquelle ils découvriraient, bigre, qu' entre deux séries télé ils sont chargés d'élever leur enfant, et surtout que ce n'est pas seulement à l'école de s'en charger.
Une scène qui pourrait être comique se reproduit chaque année en sixième, lorsque nous étudions les niveaux de langue: tout le problème est de leur montrer la différence entre le langage courant et le langage familier (soutenu, ils ont l'impression qu'on leur parle comme des bourges donc une sous race humaine donc pas la peine de s'y intéresser). Familier et courant donc.
" Vous parlez souvent familier entre vous, et courant avec vos parents. Pas exemple, imaginez la réaction de votre mère si vous lui disiez "ta gueule"...à coup sûr, vous recevriez une claque!
- (Regards interloqués) Mais Madame, ma mère me parle tout le temps comme ça!!!"
Que voulez-vous répondre à cela?
D'ailleurs, la découverte de certaines règles de politesse équivaut maintenant à la découverte de l'Amérique, ni plus, ni moins. Enlever sa casquette à l'intérieur? Ne pas répondre systématiquement à un adulte lorsqu'il vous fait un reproche, en plus justifié? Se lever lorsque quelqu'un rentre dans la classe? Dire merci? On croirait voir les fiers navigateurs foulant pour la première fois une terre à peine défrichée où évoluent des créatures qu'ils avaient été incapables d'imaginer auparavant. Ouah, un monde où les gens ne s'insultent pas en parlant!
D'ailleurs, il est curieux de voir que malgré cette non-politesse ambiante, ils se sentent très vite insultés pour des choses qui vous paraîtront totalement anodines:un regard, une parole...
Le problème c'est que ce genre de comportement déteint même sur les adultes. Mais là, ça les choque "Madame, il m'a traité de petit con!". Certes, il n'avait pas à le faire. Je me demande quand même pourquoi cet enfant qui se fait systématiquement traiter de la même manière à la maison, qui traite ses camarades voire ses professeurs de manière parfois pire encore, est choqué par un tel comportement. Peut-être sommes-nous encore un îlot de résistance, le dernier bastion des gens qui osent encore se dire bonjour et merci?