Le retour des zombies
Ca y est. Ils sont là. Les zombies attaquent, comme chaque année à la même période. On les voit errer dans les couloirs sombres et mornes du collège, sans but apparent, le teint d'une huître un soir de réveillon, l'oeil frais d'un maquereau sur l'étalage du supermarché local... Il ne fait jour qu'à neuf heures du matin, et encore, les jours où il fait beau, mais dès 7h45 on les voit, collés au métal froid du portail, soudés les uns au autres, la bouche largement ouverte sur un gigantesque baillement, les yeux à l'état de fente. Au même moment, une autre catégorie de morts-vivants se dirige d'un pas lourd, ployant sous le poids d'une sacoche pesante parce que pas vidée depuis les vacances de la toussaint, les yeux mi-clos, vers le lieu béni où les attend le réconfort d'un café chaud.
Dans la salle des Zombies Adultes, on n'entend que le tintement de la cuillère dans la tasse (5 cuillerées de café pour une cuillerée d'eau, tarif minimum pour survivre à la journée) agrémenté par quelques dialogues, toujours les mêmes.
"Pffffff.... j'en peux plus.
-Ouééééé c'est dur.
-Chuis mâlâde...
-*soupiiiiiiiiir*"
L'une des caractéristiques du zombie, faut le dire, c'est de posséder très peu de vocabulaire, celui-ci appartenant inévitablement au champ lexical de la crevidute, de la pasenvietude ou de la maladitude. Pourtant, fort de son pudding-au-café, il parvient, coûte que coûte, longtemps après la sonnerie le rappelant à l'ordre, à se traîner devant ses jeunes zombies. Ceci dit, il a bien l'intention de leur donner plein d'exercices, voire, (un zombie c'est pas cool) un contrôle pour qu'on lui foute la paix et qu'il puisse finir sa nuit dans le calme.
Le jeune zombie, quand à lui, ne parle pas du tout quand le zombie adulte lui adresse la parole. Il faut lever le doigt, et c'est bien connu, le bras d'un zombie risque de tomber à tout moment, donc mieux vaut ne pas trop le bouger. Le jeune zombie a par ailleurs bien du mal à décoller sa tête , de préférence posée sur ses bras, ce qui l'empêche pour des raisons logistiques de soulever les cinq grammes de son stylo, évidemment trop lourd. L'avantage de ce genre de connection entre zombies c'est que les heures de cours n'ont pas besoin d'être chargées, entre le déplacement (lent) vers la salle, le deshabillage (difficile) des couches d'oignon, les négociations "mais comment comptes-tu noter ton cours avec tes moufles?", la réflexion pour trouver la date (une bonne minute tous les matins, de ma part), la sortie des affaires (lourdes) et la mise au travail (impossible), il s'écoule minimum un quart d'heure.
Il y a pourtant quelques zombies réfractaires, les zombies cruels. Ceux-là sont susceptibles, se tapent dessus, sont insolents...
Discussion entre zombie-prof et zombie-élève:
Prof "Pourquoi ton exercice n'est-il pas fait? *soupir las*
Elève -J'étais absent il y a une semaine quand vous l'avez donné, c'est bon, hein! *air écoeuré*
Prof -Mais en une semaine tu as eu le temps de rattraper, alors donne-moi ton carnet de liaison. *pffffff*
Elève - Non mais c'est bon, j'ai jamais rattrapé un cours de ma vie, hein.
Prof - Le jour où ton patron te demandera de faire un travail, et que tu seras absent sans le rattraper, il te dira quoi, à ton avis? * chtoc, prend ça, morveux*
Elève -Ben il me félicitera.
Prof (après un temps d'inertie, à me demander si je vais le tuer, et puis non, chuis trop fatiguée) -Fiche moi le camp." * soupiiiiir*
Hé oui, le zombie prof a pendant cette période légèrement tendance à sortir le zombie-élève de sa salle, parce que s'énerver, c'est trop fatiguant. Et le zombie-élève est soulagé, au fond, il va pouvoir se rendormir tranquillement en perm', parmi ses congénères chassés eux aussi des salles sombres et muettes caractéristiques de cette période de l'année.
Ce qui est sympa en cette saison c'est le consensus, qui pour une fois met tout le monde d'accord, entre zombies on se comprend pour s'économiser avant d'aller retrouver la chaleur de notre couette...