Des parents et des profs...
Il y a des rencontres inéluctables dans une vie, des chemins qui se croisent envers et contre tout, thème cher à Claude Lelouch avec Un Homme et une Femme, mais aussi à Steinbeck avec Des souris et des hommes. Il y a des destins marqués à tout jamais par des rencontres, Blake et Mortimer, Robert et Gertrude, Paul et Virginie.
Dans notre passionnante profession, les rencontres sont multiples, entre Rachid et Bryan, entre Rufus, les pétards et les cours de maths. Mais la plus enrichissante de toutes ces rencontres est certainement celle, profondément ritualisée, entre les parents et les professeurs. Pour les ignares et néophytes, il s'agit pour le professeur de s'asseoir dans une salle glaciale (le chauffage se coupe automatiquement dès la fin des cours, si vous avez le malheur de faire des heures sup' emballez-vous dans une couverture de survie, y'a que ça de vrai), alors que la plupart des travailleurs sont rentrés chez eux, et de patienter afin de pouvoir discuter avec les parents venus s'intéresser de près à leur rejeton.
Lorsque j'étais moi-même lycéenne, je m'imaginais déjà prof, assise derrière ma table, accueillant les parents pour les complimenter sur leur enfant ou au contraire lui démolir sa sale race (en fait je n'ai jamais parlé comme ça, j'étais passablement innocente). J'avoue, avec le casier, c'était ce qui me faisait rêver à mon futur métier. De l'autre côté du miroir cependant, la réalité est toute autre. Il s'agit non pas du prof vengeur, mais d'une pauvre larve épuisée qui crève de faim si elle a le malheur d'avoir oublié son casse-croûte. Il ne s'agit pas non plus du parent intéressé par son enfant, prêt à prendre les choses en main, mais de pauvres larves aussi, épuisées par une journée de travail et qui doivent encore se cogner des reproches sur leur mouflet qu'ils essayent pourtant de maintenir à flots, par divers moyens, allant de la baffe sonore au "arrête de bavarder, hein!"
Pourtant, dans la quinzaine de parents que nous recevons habituellement sur une moyenne de 70 élèves, certains comportements méritent analyse...
- Le parent inquiet: mon dieu mon dieu, Marie-Gertrude n'a que 15.5 de moyenne ce trimestre, pauvre chérie, va-t-elle se retrouver au chômage pour le restant de ses jours? Va-t-elle être refusée à Polytechnique? Non parce que vous comprenez elle a peut-être été traumatisée par le décès de son vieux chat âgé de 18 ans qui a souffert de diarrhée aiguë, doit-on voir un psy? Et bla, et bla, et bla... pendant que la file toujours plus longue de parents qui EUX ont de vrais problèmes se met à maugréeer sur ce prof qui prend trop de temps...
-Le parent énergique: C'est celui qui veut montrer sa bonne volonté au prof. Ancien cancre ou lèche-bottes, il se sent obligé de passer un savon à son gosse pour bien montrer comme il est sévère, et en sortant, dit "mais quel con celui-là!". Généralement, ça donne des colères bien exagérées, larmes aux yeux, menaces "plus de foot, plus de copains, plus de télé, plus de jeux, plus de vélo, plus de nourriture, plus de lit, plus de parents, petit ingrat!" Mon dieu. Le but de tout ça est de culpabiliser le prof qui n'en demandait pas tant. Parfois le gamin surpris a même droit à une paire de baffes, histoire que le prof en vienne à s'excuser d'avoir été si dur car il ne veut pas être responsable d'un carnage.
-Le parent paumé: C'est celui qui fait un peu pitié. Il ne sait plus quoi faire, il a toujours tout donné à son enfant, mais maintenant qu'il traîne dans la rue jusqu'à 3h du mat et rentre bourré, il ne sait plus quoi faire... Et il attend que moi, prof de 27 ans, je lui dise comment élever son bambin. Voilà l'exemple type du parent qui, croyant bien faire, a toujours tout laissé faire à son enfant, sans jamais rien refuser, l'a couvert contre ses professeurs, et maintenant a un délinquant en puissance et attend du même professeur qu'il lui dise comment s'y prendre...
-Le parent primo-arrivant: Il connaît maximum 3 mots de français. Il vient avec son gamin pour qu'il lui fasse la traduction... " Voilà, la situation est désastreuse, Mouloud a 2 de moyenne, il a été exclu du collège 8 fois en 3 mois, il a agressé la femme de ménage..." (l'élève traduit) Le parent exhibe un sourire enchanté , merci merci, et s'en va manifestement aux anges... y' a eu un bug, là, non?
- Le parent m'en foutiste: Robert est un criminel, il a violé sa camarade, se touche la bistouquette, il a des poux, il se lave une fois par mois, mais bon, faut bien que jeunesse se passe, hein? ( en général le parent est éduc'spé, prof ou psy).
-Le parent absent: C'est toujours celui qu'on aimerait bien voir. Mais c'est surtout celui qui a tout compris au truc, pourquoi se casserait-il la tête à venir le soir après le boulot pour entendre dire du mal de son rejeton? Il n'est pas fou, le frelon (enfin la guêpe mâle, hein... le guêpon?). Il brille donc par son absence alors que justement on aurait des tas de choses à lui dire. Mais on se défoulera sur le bulletin, tant pis...
-Le parent no comment: Celui -là est généralement un OVNI: ça va de la mère supermaquillée, décolleté au nombril, technicienne de trottoir de profession, au père ex-tôlard qui prend une douche tous les 3 ans quand il sort de prison et qui pue l'alcool à 20km. Ca peut aussi être la madame très bien sapée, trois cm de fond de teint sur la figure qu'on se demande ce qu'elle veut cacher, mais qui mâche un chewing-gum, le portable à l'oreille, ni bonjour, ni au revoir, qui explique qu'elle ne "cogne jamais sur ses 8 gosses, hein, elle ne fait que leur gueuler dessus, à ces sales petits cons". Là franchement, on ravale tout ce qu'on voulait dire (enfant grossier, odeur bizarre, bavardages, leçons pas apprises), parce que tout bien pesé, avec des parents pareil, il est plutôt pas mal, cet enfant.
Il y a aussi quelques parents normaux. Ils sont minoritaires, mais ça fait plaisir de les voir.